On lira avec un bonheur proche de la crise de nerfs (si on est nouvelliste) le formidable recueil de Jean-Louis Ughetto. Voilà des nouvelles que l’on aimerait avoir écrites, avec des ambiances qui détonnent. Qu’ils soient camionneurs, concepteurs de terrains de golf dans la jungle, apponteurs sur un porte-avion ou techniciens d’entretien d’ascenseurs, les personnages comme leurs histoires sortent de l’ordinaire narcissique des héros intellos.

Alain Kewes, décembre 1999

Ingénieur du son au cinéma, auteur d’un recueil de fables et d’une pièce de théâtre, Jean-Louis Ughetto, qui est l’un des fondateurs de La Chambre d’échos, nous donne à lire ici seize nouvelles, noires pour la plupart, qui établissent une géographie baroque et désespérée du hasard, du malheur, du désir, de la volonté de vivre. Les mêmes personnages, récurrents (comme chez Balzac), traversent ces instantanés, triomphants ici, humiliés ailleurs, en danger partout. Dan a rendez-vous avec sa maîtresse Isa (dans la nouvelle éponyme), quelque part sur une île jamais nommée, mais on y mange des figatelli, c’est donc la Corse. Il l’attend, longtemps. Elle ne vient pas. Dan se persuade qu’elle est morte. En fait il y a eu un contretemps. Mais ils ne pourront plus se retrouver et Dan rentre chez lui. Dans une autre nouvelle – est-ce avant ? Ou après ? – Dan travaille en Amérique latine. Un parcours de golf va être construit aux abords d’un temple maya en ruines. Mais il faut d’abord tuer les serpents installés dans les ruines. pour les faire sortir de leurs trous, des adolescents jouent les appâts, au risque de se faire engloutir par les boas. La dernière nouvelle, qui « cimente » le recueil, réunit un certain nombre des personnages : Dan, qui s’est « rangé », s’occupant tranquillement d’un club de golf près d’Antibes, sa femme, des amis. L’un des personnages est mort, est incinéré – je laisse le lecteur lire la nouvelle pour savoir lequel. Sa femme répand les cendres dans le jardin. Le jardinier s’inquiète : « Qu’est-ce que c’est, cette fumure, au pied des rosiers ? – C’est mon mari, répond la veuve. »

Jean-Loup Martin, juin 2000