II

1.
Les bons jours, la main posée à midi sur le volant se cabre presque à angle droit avec le poignet pour saluer les voitures qui cèdent le passage.
Un mouvement tout en sympathie avec celui du pied qui pèse alors à peine sur la pédale du frein.
Quand l’humeur est moins bonne, la main snobe les conducteurs polis. La paume reste collée au volant. Les doigts ne frémissent même pas.

 

Où est la plus grande politesse ? Dans la précipitation des piétons qui traversent sans un regard pour les conducteurs à l’arrêt, ou dans le geste de remerciement qui fait ralentir le pas et requiert un surplus de patience de leur part ?

 

En traversant, certains piétons tendent le bras, paume vers les conducteurs arrêtés. Difficile de savoir s’il s’agit d’une manifestation de reconnaissance ou d’une injonction inutile et prétentieuse.


D’autres piétons, eux, se tiennent en retrait sur le trottoir. Ils n’espèrent visiblement plus qu’un véhicule leur cède le passage. Ils attendent seulement que la voie soit libre. Mais il arrive qu’ils fassent preuve d’indifférence voire de hauteur à l’égard de ceux ou celles qui s’arrêtent pour les laisser traverser. Comme quoi l’être humain, et donc le piéton, peut en une fraction de seconde passer du « je n’attends rien » au « on me doit tout ».


Quand les rôles sont inversés, par de vieux messieurs plantés sur le trottoir. Ils font signe aux voitures qu’elles peuvent passer. Ils sourient. Ils ont le temps.


S’inquiéter de la présence de piétons sur le trottoir, les regarder s’engager sur les bandes blanches. Ne pas les perdre une seconde des yeux. Les pousser du regard dans le dos quand ils s’éloignent. Reprendre la route.Un bouquet de fleurs sur un passage clouté, à égale distance du trottoir de part et d’autre. Tombé de mains. Ou emporté par un souffle de vent et laissé immobile en cet endroit protégé des voitures.


Tête penchée sur le buste incliné, l’enfant glousse. Sa mère a dépassé l’artère dans laquelle elle aurait dû s’engager et entame un deuxième tour de rond-point. Devant l’amusement de l’enfant, elle prolonge sous le regard bonhomme d’un automobiliste peu pressé le tour de manège improvisé.
Pas facile ensuite de trouver des mots à opposer à cet « encore » qui monte aux lèvres de l’enfant.


2.
La conductrice attire l’attention de l’enfant. Elle double une voiture qui tracte un petit manège à ciel ouvert, trois engins bigarrés dont une biche.


Une housse imperméable épouse au plus près les vélos fixés sur le toit de la voiture. Un des guidons est horizontal, l’autre incurvé. Deux créatures à cornes sur la route, en toute sécurité.


Par le double jeu du soleil et de l’ombre, les rétroviseurs latéraux deviennent les oreilles d’un hippopotame exceptionnellement rapide.


Des traces d’insectes écrasés sur le pare-brise risquent de trahir ceux qui prétendent rouler lentement. En-dessous de 90 kilomètres-heure, aucun d’entre eux ne viendra, paraît-il, s’y écraser.Dans le rétroviseur, le drame avance : un hérisson traverse devant une voiture. Les yeux encouragent son dandinement. Il est sauvé de justesse, une affaire de centimètres tout au plus. Emporté vers le jardin, emmailloté dans une veste, il y mangera de la nourriture pour chat ramenée d’une station-essence.


La conduite est paisible sur ce chemin de traverse jusqu’à ce qu’un lapin passe dans la lumière des phares et détale. On a eu peur puis sursauté intérieurement de joie de l’avoir épargné. On s’enhardit, on accélère.
Plus loin, l’allure est fatale à un lapin moins chanceux.


Maigre consolation de ne pas rouler sur un animal écrasé, mais consolation quand même.